Ombres et couleurs d'un exil marocain
Peintures de Jacqueline Mathis-Brodskis
Pionnière des ateliers d'art spontané au Maroc, Jacqueline Mathis-Brodskis a su créer autour d'elle un élan qui a contribué à l'essor de la peinture marocaine contemporaine.
Française née en 1912, juive et orpheline, elle s'arrime à la peinture comme à une planche de salut. Celle-ci va l'emmener à vingt ans, au Maroc, à Rabat. Elle ne quittera plus ce pays d'exil volontaire auquel elle restera fidèle, comme à la peinture.
Son oeuvre tend un fil rouge qui traverse, sans les montrer, des pans entiers d'une histoire personnelle autant qu'universelle. Pendant les années trente et la Seconde Guerre mondiale, sous le Protectorat, puis lors de l'Indépendance marocaine pour laquelle elle a milité et jusqu'à la fin du vingtième siècle, Jacqueline Mathis- Brodskis a vécu, peint et enseigné au Maroc.Aux artistes en herbe ou non, de tout style et de tous âges. Cette rétrospective reflète autant la ligne droite et déterminée qui l'a guidée que les chemins de traverse d'une création qui ne se laisse pas enfermer dans un style unique, « à la manière de ». En revanche, ses manières sont autant d'approches, de récurrences, d'incursions dans un univers pictural tout en couleurs. Seules les ombres manquent aux tableaux, et pour cause. Soustraites aux regards par la chaleur des tons, elles se révèlent dans la faille qui brise ces regards d'enfants, étonnés et sérieux ; ou dans ces visages de femmes, sans traits, abstraits du monde quand leur corps continue à travailler.
Aux touches dansant sur la toile répondent des modèles immobiles, comme figés dans le regard du peintre sans qu'on sache qui observe qui avec le plus d'attention. Cela vaut pour nous aussi : ces toiles, sous des allures de promenade au soleil, nous confrontent à l'exil intérieur.
Sylvie Lausberg
Commissaire de l'exposition